UN SAUT DANS LA BARQUE MUNICIPALE

                                                     

Issue d'une famille impliquée socialement dans le milieu, et l'étant moi-même, 
j'étais sensibilisée aux différents problèmes sociaux, économiques et autres 
rencontrés dans nos communautés.  Mon implication politique municipale, dans 
une petite localité du Bas du Fleuve, fut de six ans et demi à titre de 
conseillère;  à l'intérieur de ce mandat, je fus maire suppléant;  j'ajoute 
deux tentatives pour accéder à la mairie, sans cesser de piloter des dossiers 
et de diriger différents comités.

Cet engagement, au départ, n'avait été que le fruit du hasard et n'était donc 
pas planifié dans mon esprit.  J'avais été demandée pour remplacer un démissionnaire.  
J'ai donc sauté à pieds joints dans l'action, sans me douter dans quoi je 
m'embarquais.  Je pensais naïvement, comme d'autres avant moi, que le travail 
se faisait en collégialité et que j'y apporterais mon humble contribution pour 
une société meilleure...  Oh, oh, erreur!  J'avais oublié certaines réalités 
de la vie, comme le sexisme, la lutte et le jeu du pouvoir, les attitudes 
patriarcales, l'intérêt personnel, les menaces, les rumeurs mensongères, les
passe-droits, la démobilisation des citoyens et des dirigeants, l'esprit de 
clocher..., etc. Soyez sans crainte; je ne commencerai pas à vous raconter mes 
expériences;  cela serait trop long, et plutôt digne d'un téléroman à très grande 
cote d'écoute.

La municipalité est la forme de gouvernement la plus accessible aux électeurs.  
Donc, la politique municipale est la politique la plus difficile qui soit, parce 
que les décisions prises à la table du Conseil touchent ou impliquent directement 
vos proches immédiats, c'est-à-dire vos voisins et votre parenté.  Surtout, vous 
vivez parmi eux;  en prenant vos responsabilités, vous devez en tenir compte 
et être prête à répondre aux questions des contribuables en toutes occasions, 
même au super marché ou dans une soirée divertissante.  Bien souvent, on vous 
accorde des pouvoirs que nous ne possédons même pas, surtout quand nous sommes 
dans l'obligation d'appliquer les normes provinciales gouvernementales.  Il est 
alors facile de franchir la mince marge de l'impartialité en favorisant certaines 
personnes par des clauses dérogatoires, ce qui entraîne souvent des demandes 
sans fin.

J'ai eu l'occasion de partager mon vécu avec d'autres femmes et des hommes 
d'autres municipalités de la province dans leur implication au pouvoir municipal.  
Ces personnes ont ressenti les mêmes frustrations à défendre des dossiers, à 
s'engager dans des causes de justice sociale, à vouloir un développement économique 
coordonné et viable pour la région. A vouloir défendre des points de vue qu'elles 
croyaient justes et équitables, elles ont dû faire face à un pouvoir qui voulait 
contrôler et non aider;  à présenter une gestion équitable des fonds publics pour 
empêcher l'exode de notre relève vers les grands centres, à proposer le respect 
de certaines valeurs ou à la moindre contestation des autorités, tu risquais le même 
sort que Jean le Baptiste:  avoir ta tête servie sur un plateau durant un party.

Confrontée à la controverse, j'examine les réflexions et les questions qui me 
viennent à l'esprit;  personnellement, j'admets que je ne suis pas parfaite, que 
je fais des erreurs.  Pourquoi est-ce que je tenais tant à la justice sociale, 
à me battre pour conserver certains droits acquis, à défendre les droits des 
démunis, etc.?  Etait-ce pour être en accord avec des principes reçus d'une 
éducation chrétienne ou d'une éthique morale, ou bien autre chose? Dans les coups 
durs, je me remémorais une citation d'Albert Einstein: " GREAT SPIRITS HAVE ALWAYS 
ENCOUNTERED VIOLENT OPPOSITION FROM MEDIOCRE MIND".  Traduction personnelle:  
"Les grands esprits rencontrent toujours une violente opposition de la part 
d'esprits médiocres."  Vous me direz qu'il reste à partager qui sont qui et 
qui, ça c'est une autre histoire.

Des moments positifs, il y en eut.  Quand je réussissais à mener à bien mes 
dossiers malgré tous les obstacles, à sentir l'appui de certains de mes 
concitoyens, à maîtriser la complexité du pouvoir municipal inter relié à la 
MRC (Municipalité régionale du comté) et à d'innombrables ministères provinciaux 
et fédéraux, je ressentais par-dessus tout la satisfaction du devoir accompli.

Il est bon de rêver qu'un jour les dirigeants et les citoyens se responsabiliseront 
et que chacun et chacune accorderont une importance aux intérêts de la communauté 
en premier lieu.  Car il est inutile de demander à nos dirigeants et dirigeantes 
d'être écologistes si nous ne le sommes pas;  de même, il est inutile de leur 
demander d'avoir une attitude responsable, si nous-mêmes nous ne prenons aucunement 
nos responsabilités.  Le tout commence par nous-mêmes, en chacun et chacune de nous.  

L'expérience fut enrichissante, malgré les tempêtes affrontées et les mers agitées.
L'important, c'est que j'ai dérangé et bousculé du monde dans leurs idées préconçues 
et cela a valu la peine d'être vécu à mon point de vue.

  Lise Deschênes